Homère / Traduction Leconte de Lisle
Iliade
Sur conseil d’Athéna, Ulysse retient les Achéens de fuir : « [Ulysse] courut, jetant son manteau que releva le héraut Eurybatès d’Ithakè, qui le suivait. Et, rencontrant l’Atréide Agamemnôn, il reçut de lui le sceptre immortel de ses pères, et, avec ce sceptre, il marcha vers les nefs des Akhaiens revêtus d’airain. Et quand il se trouvait en face d’un Roi ou d’un homme illustre, il l’arrêtait par de douces paroles : « Malheureux ! Il ne te convient pas de trembler comme un lâche. Reste et arrête les autres. Tu ne sais pas la vraie pensée de l’Atréide. Maintenant il tente les fils des Akhaiens, et bientôt il les punira. Nous n’avons point tous entendu ce qu’il a dit dans le conseil. Craignons que, dans sa colère, il outrage les fils des Akhaiens, car la colère d’un Roi nourrisson de Zeus est redoutable, et le très-sage Zeus l’aime, et sa gloire vient de Zeus. » Mais quand il rencontrait quelque guerrier obscur et plein de clameurs, il le frappait du sceptre et le réprimait par de rudes paroles : « Arrête, misérable ! Écoute ceux qui te sont supérieurs, lâche et sans force, toi qui n’as aucun rang ni dans le combat ni dans le conseil. Certes, tous les Akhaiens ne seront point Rois ici. La multitude des maîtres ne vaut rien. Il ne faut qu’un chef, un seul Roi, à qui le fils de Kronos empli de ruses a remis le sceptre et les lois, afin qu’il règne sur tous.» » (II)
« Où iront nos paroles et nos serments ? Les conseils et la sagesse des hommes, et les libations de vin pur, et les mains serrées en gage de notre foi commune, tout sera-t-il jeté au feu ? Nous ne combattons qu’en paroles vaines, et nous n’avons rien trouvé de bon après tant d’années. Atréide, sois donc inébranlable et commande les Argiens dans les rudes batailles. Laisse périr un ou deux lâches qui conspirent contre les Akhaiens et voudraient regagner Argos avant de savoir si Zeus tempêtueux a menti. Mais ils n’y réussiront pas. Moi, je dis que le terrible Kroniôn engagea sa promesse le jour où les Argiens montaient dans les nefs rapides pour porter aux Troiens les Kères de la mort, car il tonna à notre droite, par un signe heureux. Donc, que nul ne se hâte de s’en retourner avant d’avoir entraîné la femme de quelque Troien et vengé le rapt de Hélénè et tous les maux qu’il a causés. Et si quelqu’un veut fuir malgré tout, qu’il saisisse sa nef noire et bien construite, afin de trouver une prompte mort. Mais, ô Roi, délibère avec une pensée droite et écoute mes conseils. Ce que je dirai ne doit pas être négligé. Sépare les hommes par races et par tribus, et que celles-ci se viennent en aide les unes les autres. Si tu fais ainsi, et que les Akhaiens t’obéissent, tu connaîtras la lâcheté ou le courage des chefs et des hommes, car chacun combattra selon ses forces. Et si tu ne renverses point cette ville, tu sauras si c’est par la volonté divine ou par la faute des hommes. » (II, Le Chevalier de Généria Nesto à Agamémnon)
« Misérable Pâris, qui n’as que ta beauté, trompeur et efféminé, plût aux Dieux que tu ne fusses point né, ou que tu fusses mort avant tes dernières noces ! Certes, cela eût mieux valu de beaucoup, plutôt que d’être l’opprobre et la risée de tous ! Voici que les Akhaiens chevelus rient de mépris, car ils croyaient que tu combattais hardiment hors des rangs, parce que ton visage est beau ; mais il n’y a dans ton cœur ni force ni courage. » (III, Hector à Alexandre, le voyant fuir Ménélas)
« Certes, femme, ces inquiétudes me possèdent aussi, mais je redouterais cruellement les Troiens et les Troiennes aux longs péplos traînants, si, comme un lâche, je fuyais le combat. Et mon cœur ne me pousse point à fuir, car j’ai appris à être toujours audacieux et à combattre, parmi les premiers, pour la gloire de mon père et pour la mienne. Je sais, dans mon esprit et dans mon cœur, qu’un jour viendra où la sainte Troiè périra, et Priamos, et le brave peuple de Priamos. Mais ni le malheur futur des Troiens ni celui de Hékabè elle-même, du roi Priamos et de mes frères courageux qui tomberont en foule sous les guerriers ennemis, ne m’afflige autant que le tien, quand un Akhaien cuirassé d’airain te ravira la liberté et t’emmènera pleurante ! Et tu tisseras la toile de l’Étranger, et tu porteras de force l’eau de Messèis et de Hypéréiè, car la dure nécessité le voudra. Et, sans doute, quelqu’un dira, te voyant répandre des larmes : — Celle-ci est la femme de Hektôr qui était le plus brave des Troiens dompteurs de chevaux quand il combattait autour de Troiè. — Quelqu’un dira cela, et tu seras déchirée d’une grande douleur, en songeant à cet époux que tu auras perdu, et qui, seul, pourrait finir ta servitude. Mais que la lourde terre me recouvre mort, avant que j’entende tes cris et que je te voie arracher d’ici ! » (VI, Hector à sa femme Andromaque, laquelle le supplie de ne pas aller se battre contre Achille)
« Ô Akhilleus, apaise ta grande âme, car il ne te convient pas d’avoir un cœur sans pitié. Les Dieux eux-mêmes sont exorables, bien qu’ils n’aient point d’égaux en vertu, en honneurs et en puissance ; et les hommes les fléchissent cependant par les prières, par les vœux, par les libations et par l’odeur des sacrifices, quand ils les ont offensés en leur désobéissant. Les prières, filles du grand Zeus, boiteuses, ridées et louches, suivent à grand’peine Atè. Et celle-ci, douée de force et de rapidité, les précède de très-loin et court sur la face de la terre en maltraitant les hommes. Et les Prières la suivent, en guérissant les maux qu’elle a faits, secourant et exauçant celui qui les vénère, elles qui sont filles de Zeus. Mais elles supplient Zeus Kroniôn de faire poursuivre et châtier par Atè celui qui les repousse et les renie. » (IX, Le Chevalier Phoinix à Achille)
« Ô ami, si en évitant la guerre nous pouvions rester jeunes et immortels, je ne combattrais pas au premier rang et je ne t’enverrais pas à la bataille glorieuse ; mais mille chances de mort nous enveloppent, et il n’est point permis à l’homme vivant de les éviter ni de les fuir. Allons ! donnons une grande gloire à l’ennemi ou à nous. » (XII, Sarpédon à Glaukos)
« Si nous étions choisis parmi les plus braves pour une embuscade, car c’est là que le courage des guerriers éclate, là on distingue le brave du lâche, car celui-ci change à tout instant de couleur, et son cœur n’est point assez ferme pour attendre tranquillement en place ; et il remue sans cesse, tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre ; et son cœur tremble dans sa poitrine par crainte de la mort, et ses dents claquent, tandis que le brave ne change point de couleur, et il ne redoute rien au premier rang des guerriers, dans l’embuscade, et il souhaite l’ardent combat […] » (XIII, Idoménée)
Sarpédon mort, les troyens tentent de lui prendre ses chevaux divins. « Et, vainement, Automédôn, le fils du brave Diorès, les excitait du fouet ou leur adressait de flatteuses paroles, ils ne voulaient point aller vers le large Hellespontos, ni vers la mêlée des Akhaiens ; et, de même qu’une colonne qui reste debout sur la tombe d’un homme ou d’une femme, ils restaient immobiles devant le beau char, la tête courbée vers la terre. Et de chaudes larmes tombaient de leurs paupières, car ils regrettaient leur conducteur ; et leurs crinières florissantes pendaient, souillées, des deux côtés du joug. Et le Kroniôn fut saisi de compassion en les voyant, et, secouant la tête, il dit dans son esprit : « Ah ! malheureux ! pourquoi vous avons-nous donnés au roi Pèleus qui est mortel, vous qui ne connaîtrez point la vieillesse et qui êtes immortels ? Était-ce pour que vous subissiez aussi les douleurs humaines ? Car l’homme est le plus malheureux de tous les êtres qui respirent, ou qui rampent sur la terre. » » (XVII)
« […] [Agénor] attendit Akhilleus. De même qu’une panthère qui, du fond d’une épaisse forêt, bondit, au-devant du chasseur, et que les aboiements des chiens ne troublent ni n’épouvantent ; et qui, blessée d’un trait ou de l’épée, ou même percée de la lance, ne recule point avant qu’elle ait déchiré son ennemi ou qu’il l’ait tuée ; de même le fils de l’illustre Antènôr, le divin Agènôr, ne voulait point reculer avant de combattre Akhilleus. Et, tendant son bouclier devant lui, et brandissant sa lance, il s’écria : « Certes, tu as espéré trop tôt, illustre Akhilleus, que tu renverserais aujourd’hui la ville des braves Troiens. Insensé ! tu subiras encore bien des maux pour cela. Nous sommes, dans Ilios, un grand nombre d’hommes courageux qui saurons défendre nos parents bien-aimés, nos femmes et nos enfants ; et c’est ici que tu subiras ta destinée, bien que tu sois un guerrier terrible et plein d’audace. » » (XXI)
« […] je t’apporte, afin de le racheter, des présents infinis. Respecte les dieux, Akhilleus, et, te souvenant de ton père, aie pitié de moi qui suis plus malheureux que lui, car j’ai pu, ce qu’aucun homme n’a encore fait sur la terre, approcher de ma bouche les mains de celui qui a tué mes enfants ! » (XXIV, Priam suppliant Achille de lui rendre la dépouille d’Hector)
« Mais prends ce siége, et, bien qu’affligés, laissons nos douleurs s’apaiser, car le deuil ne nous rend rien. Les dieux ont destiné les misérables mortels à vivre pleins de tristesse, et, seuls, ils n’ont point de soucis. Deux tonneaux sont au seuil de Zeus, et l’un contient les maux, et l’autre les biens. Et le foudroyant Zeus, mêlant ce qu’il donne, envoie tantôt le mal et tantôt le bien. Et celui qui n’a reçu que des dons malheureux est en proie à l’outrage, et la mauvaise faim le ronge sur la terre féconde, et il va çà et là, non honoré des Dieux ni des hommes. Ainsi les dieux firent à Pèleus des dons illustres dès sa naissance, et plus que tous les autres hommes il fut comblé de félicités et de richesses, et il commanda aux Myrmidones, et, mortel, il fut uni à une déesse. Mais les dieux le frappèrent d’un mal : il fut privé d’une postérité héritière de sa puissance, et il n’engendra qu’un fils qui doit bientôt mourir et qui ne soignera point sa vieillesse ; car, loin de ma patrie, je reste devant Troiè, pour ton affliction et celle de tes enfants. Et toi-même, vieillard, nous avons appris que tu étais heureux autrefois, et que sur toute la terre qui va jusqu’à Lesbos de Makar, et, vers le nord, jusqu’à la Phrygiè et le large Hellespontos, tu étais illustre ô vieillard, par tes richesses et par tes enfants. Et voici que les dieux t’ont frappé d’une calamité, et, depuis la guerre et le carnage, des guerriers environnent ta ville. Sois ferme, et ne te lamente point dans ton cœur sur l’inévitable destinée. Tu ne feras point revivre ton fils par tes gémissements. Crains plutôt de subir d’autres maux. » (XXIV, Achille à Priam)
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