M. Macron, dans son portrait photo officiel, pose avec trois livres : Les Mémoires de guerre (De Gaulle), ouvert en évidence à sa droite ; ainsi que Le Rouge et le Noir (Stendhal), et Les Nourritures terrestres (Gide), empilés à sa gauche dans le fond…
Cet article souhaite mettre un terme à l’hallucination narrative qui dresserait parallèles entre Julien Sorel et Emmanuel Macron. Personne – sauf erreur – ne s’est senti le devoir de défendre le héros de Stendhal, réduit, dans un coin de bureau, à servir l’amour propre du locataire de l’Élysée. L’idée est pourtant affreuse…
On comprend aisément ce qu’il y a de flatteur à suggérer la comparaison. Un très beau jeune homme, provincial, parti de rien, précoce d’esprit et de passion, parvient à s’élever par la seule force de son intelligence et de son ambition, avant de braver la mort pour défendre son honneur. Un jeune homme exceptionnel ; un portrait romanesque d’excellence.
Nous allons revenir sur ces idées et penser tout le mal qu’il faut de la hardiesse propre à vouloir s’en emparer.
« Parti de rien, précoce d’esprit… »
Sorel est fils de charpentier, sa mère est morte alors qu’il était encore très jeune, il est haï par son père et ses frères. Pauvre donc, sans moyen naturel de s’instruire. Il ne devra ses premières armes de savoir, si nécessaires au début de son ascension, qu’à l’affection d’un vieux chirurgien de sa famille, et du curé de la ville qui lui fera apprendre le latin et la Bible (ou la Bible en latin). Il travaille dès dix-huit ou dix-neuf ans (selon la description de l’auteur), ce qui lui permettra plus ou moins directement de se procurer des livres. Ses débuts d’éducation sociale appliquée à un monde qu’il ne peut vraiment percer de l’intérieur (les mécanismes qui sous-tendent aux actions des strates supérieures), il les devra à son esprit exceptionnel de déduction et aux confidences d’une maitresse insérée.
Tandis que Sorel désire s’acheminer vers les hauteurs, Macron y naît. Dans notre époque d’égalité de droits, il n’y a plus guère de différenciant et d’aristocratique que l’argent. Macron est issu d’une famille, semble-t-il, tout ce qu’il y a d’opulent en apparence et en moyens ; son père est neurologue et Professeur à l’Université, très cultivé aux dires de la presse ; sa mère est également médecin. Il fera ses études dans un collège jésuite privé, tout ce qu’il y a de plus chic ; avant de finir ses études à Paris au Lycée Henri IV, tout ce qu’il y a de plus prestigieux. Revenant le 07/03/2017, au cours d’un Facebook Live, sur ses jeunes années dans la capitale, il se plaindra du peu de moyens dont il disposait alors : « environ 1000 euros par mois », indigence propre à appréhender ce qu’il retourne de « boucler une fin de mois difficile ». Pour un bourgeois supérieur qu’on se figure sans fantasme excessif habitué au confort, et que l’on sait doué d’un grand sens de la communication, la question se pose de ce que ces deux citations recouvrent de réalité…
On pourra objecter que M. Macron n’a pas à se reprocher d’être bien né, que seule la grandeur d’âme et ce à quoi elle conduira aux suites de l’adolescence vaut. Malheureusement… les grands auteurs l’apprennent parfois, la Sensibilité est précisément déterminée à l’enfance et aux épreuves qu’elle fait, éventuellement, traverser. Notre système nerveux restera ce qu’il est après l’adolescence, il a été préparé, bousillé, ou pas, par ce que l’on a dû traverser, ou pas. « On peut devenir savant, adroit, mais le cœur !… le cœur ne s’apprend pas. » (Stendhal, Le Rouge et le Noir). Dit plus directement : « Un homme est tout à fait achevé, émotivement c’est-à-dire, vers la douzième année. Il ne fait plus ensuite que se répéter, c’est le vice ! jusqu’à la mort… Sa musique est fixée une fois pour toutes… dans sa viande, comme sur un film photo, la première impression… C’est la première impression qui compte. Enfance des petits bourgeois, enfance de parasites et de mufles, sensibilités de parasites, de privilégiés sur la défensive, de jouisseurs, de petits précieux, maniérés, artificiels, émotivement en luxation vicieuse jusqu’à la mort… Ils n’ont jamais rien vu… ne verront jamais rien… humainement parlant… Ils ont appris l’expérience dans les traductions grecques, la vie dans les versions latines et les bavardages de M. Alain… Ainsi qu’une recrue mal mise en selle, montera sur les couilles de travers, pendant tout le reste de son service… tous les petits produits bourgeois sont loupés dès le départ, émotivement pervertis, séchés, ridés, maniérés, préservés, faisandés, du départ, Renan compris… Ils ne feront que « penser » la vie… et ne « l’éprouveront » jamais… » (Céline, Bagatelles pour un massacre)
« … Et de passion… »
Le Rouge et le Noir, c’est aussi et bien sûr Madame de Rênal. On lui a donc comparé aussi et bien sûr Brigitte Macron, comme cet article du Figaro Madame : Brigitte Macron, la professeure de lettres qui avait tout d’une héroïne de roman, Julie Mazuet, 13/06/2018. Des points communs plus ou moins douteux sont soulevés ; mais que chacun se fasse son idée.
Un homme et une femme, pardon du prosaïque, ce sont quelques fondamentaux avant tout…
Lors de leur rencontre, Julien a « de dix-huit à dix-neuf ans », Madame de Rênal « paraissait une femme de trente ans, mais encore assez jolie » ; il y a descriptions du physique des personnages. Julien, jeune homme, par une force de volonté tout à fait extraordinaire et risquant sa maigre position sociale, parvient à conquérir Madame de Rênal. Lors de leur rencontre, Emmanuel a quatorze ans, Brigitte Auzière en a trente-neuf ; il y a des photos d’eux à cette époque. Emmanuel est jeune adolescent, aucun Stendhal ne fera jamais la description de ce qui se passa alors… Que chacun se fasse son idée.
Pour le couple du roman, le risque de scandale réside classiquement dans l’adultère. Pour le couple Macron, le risque de scandale ne se situe-t-il pas davantage ailleurs ? Dans le second cas seulement, la maîtresse a l’âge d’être mère de l’amant, ce détail – de quelques mesquines années en apparence – ne change-t-il pas tout ? Que chacun se fasse son idée.
À Paris, Julien aura un enfant avec Mademoiselle de la Mole, jeune aristocrate de son âge, qui occupe presque autant de place dans le roman que Madame de Rênal – mais finalement pas dans le cœur de notre héros. L’idée de vie, d’énergie, de fécondité, nous semble un aspect caractéristique de lui ; une de ses obsessions avant de mourir sera d’assurer un avenir à son fils. Macron n’en aura probablement jamais. Que chacun se fasse son idée.
L’histoire de Stendhal, pour le couple Macron, nous semble en réalité moins un miroir qu’un bouclier. Bouclier cathartique habilement disposé contre un « qu’en dira-t-on ? », qui fut d’une difficulté extrême à soutenir. Que chacun se fasse son idée.
« Parvient à s’élever par la seule force de son intelligence et de son ambition »
Quantité d’obstacles se dressent devant Julien et son ambition, malgré son intelligence, malgré sa facilité de besogne. Il doit d’abord se faire professeur, puis séminariste, puis secrétaire de noblesse, pour arriver à un stade d’avancement un peu comparable à ce que Macron atteint, dans sa vingtaine, par le simple – mais très bien employé – usage du capital intellectuel, culturel et financier de ses parents. L’objectif n’est pas ici de dénuer M. Macron de ses mérites – bien réels, évidemment -, simplement de les replacer en perspectives : en fait de conatif, M. Macron est certainement l’excellence, Julien est l’exceptionnel.
« Avant de braver la mort pour défendre son honneur »
Le jeune Sorel, qui rêve des guerres napoléoniennes, y voyait une opportunité, singulière dans l’histoire de France, qu’elles offraient alors de prouver sa valeur par elle seule – aristocrate ou non. Il est fier et répugne, autant qu’il peut, à jouer la comédie ; préférant la contenance et l’habilité des paroles. Non seulement il ne simule pas, mais peine parfois à dissimuler ; et le roman foisonne de scènes d’émotions vraies avec divers personnages secondaires, masculins comme féminins. Cette fierté, qu’on devinera souvent, lui créera des inimitiés. On trouve, par exemple, cette description très tôt : « Julien répondait à tous d’un air sombre qui tenait à distance. ». L’abbé Pirard lui dira plus tard : « […] si vous ne faites pas fortune vous serez persécuté ; il n’y a pas de moyen terme pour vous. Ne vous abusez pas. Les hommes voient qu’ils ne vous font pas plaisir en vous adressant la parole ; dans un pays social comme celui-ci, vous êtes voué au malheur, si vous n’arrivez pas aux respects. ». Dans le documentaire Rothschild, le pouvoir d’un nom (Envoyé spécial, 2016), Alain Minc revient sur Emmanuel Macron et son « métier de pute » au sein de la banque d’affaire, insistant très nettement sur un adjectif : « charmant », fondement évident de son caractère. Assurément, Julien Sorel ne l’est pas ! L’un présente des apparences rouges, l’autre noires…
« Vous demandez comment on fait fortune. Voyez ce qui se passe au parterre d’un spectacle, le jour où il y a foule ; comme les uns restent en arrière, comme les premiers reculent, comme les derniers sont portés en avant. Cette image est si juste que le mot qui l’exprime a passé dans le langage du peuple. Il appelle faire fortune, se pousser. […] Les honnêtes gens disent, s’avancer, avancer, arriver, termes adoucis, qui écartent l’idée accessoire de force, de violence, de grossièreté, mais qui laissent subsister l’idée principale. » (Chamfort, Maximes) Se pousser, c’est se salir ; ce n’est pas si clair pour tout le monde. Hors circonstances exceptionnelles (guerre, révolution…), il faut bien se réduire à faire la cour, trahir, embourser des épigrammes ; et recommencer tant et tant… Très rares sont les grandes âmes qui purent, portées par de telles circonstances, jouer un rôle flamboyant, sans courtisaneries ou si peu (Jeanne d’Arc, Robespierre…), avant de connaitre une fin tragique. Julien Sorel est trop passionné, trop fier, trop sensible, pour assouvir son ambition sans souffrir de moyens trop bas à employer, de certaines attaques trop dures à supporter. Son ascension, qui ne tient tout le roman qu’à un fil, n’y résistera pas. « Les âmes qui s’émeuvent ainsi sont bonnes tout au plus à produire un artiste. Ici éclate dans tout son jour la présomption de Julien. » (Stendhal, Le Rouge et le Noir)
« Tout hussard qui n’est pas mort à trente ans est un jean-foutre. » (Lasalle, recevant des armes de Napoléon). Le Rouge et le Noir finit donc par la mort. Nous autres, personnages réels, pour peu que nous en soyons porteurs, nous diluons les couleurs… rognant l’une pour l’autre ; souvent sur le temps long, souvent au détriment du Rouge. Rares sont ceux qui se fixent un absolu. Le Rouge, la sensibilité, c’est Cyrano, incapable de la plus faible bassesse. Le Noir, l’ambition sans frein, ce pourrait être M. Macron, exclu en cela du spectre romanesque. Sorel c’est celui qui ne tranchera pas, un divorce suspendu, un météore… Faut pas confondre.
Le monde se réduisant presque à une cinquantaine de nuances noires, qui niera le talent et la peine que dû déployer M. Macron pour se hisser à l’un de ses sommets ? S’il eut jamais quelque Rouge en lui, nous ne jugeons pas non plus de la liberté qui fut la sienne d’en disposer à sa guise. De grâce, qu’il ne vampirise pas celui des autres.
Yvan Leurquin
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