Honoré de Balzac
Edition de référence : Flammarion, 2006
Le père Goriot
« Ces questions tiennent de près à bien des injustices sociales. Peut-être est-il dans la nature humaine de tout faire supporter à qui souffre tout par humilité vraie, par faiblesse ou par indifférence. N’aimons-nous pas tous à prouver notre force aux dépens de quelqu’un ou quelque chose ? » (p. 58)
« […] mais elle ressemblait à beaucoup de personnes qui se défient de leurs proches et se livrent au premier venu. Fait moral, bizarre mais vrai, dont la racine est facile à trouver dans le cœur humain. Peut-être certaine gens n’ont-ils plus rien à gagner auprès des personnes avec lesquelles ils vivent ; après leur avoir montré le vide de leur âme, ils se sentent secrètement jugés par elles avec une sévérité méritée ; mais, éprouvant un invincible besoin de flatteries qui leur manquent, ou dévorés par l’envie de paraître posséder les qualités qu’ils n’ont pas, ils espèrent surprendre l’estime ou le cœur de ceux qui leur sont étrangers, au risque d’en déchoir un jour. Enfin, il est des individus nés mercenaires qui ne font aucun bien à leurs amis ou à leurs proches, parce qu’ils le doivent ; tandis qu’en rendant service à des inconnus, ils en recueillent un gain d’amour-propre : plus le cercle de leurs affections est près d’eux, moins ils aiment ; plus il s’étend, plus serviables ils sont. » (p. 63)
« Une des plus détestables habitudes de ces esprits lilliputiens est de supposer leurs petitesses chez les autres. » (p. 65)
« Où vous rencontrer désormais, madame ? lui avait-il dit brusquement avec cette force de passion qui plaît tant aux femmes. (Rastignac) » (p. 74)
« Eh bien ! monsieur de Rastignac, traitez ce monde comme il mérite de l’être. Vous voulez parvenir, je vous aiderai. Vous sonderez combien est profonde la corruption féminine, vous toiserez la largeur de la misérable vanité des hommes. Quoique j’aie bien lu dans ce livre du monde, il y avait des pages qui cependant m’étaient inconnues. Maintenant je sais tout. Plus froidement vous calculerez, plus avant vous irez. Frappez sans pitié, vous serez craint. N’acceptez les hommes et les femmes que comme les chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais, vous arriverez ainsi au faite de vos désirs. Voyez-vous, vous ne serez rien ici si vous n’avez pas une femme qui s’intéresse à vous. Il vous la faut jeune, riche, élégante. Mais si vous avez un sentiment vrai, cachez-le comme un trésor ; ne le laissez jamais soupçonner, vous seriez perdu. Vous ne seriez plus le bourreau, vous deviendriez la victime. Si jamais vous aimiez, gardez bien votre secret ! ne le livrez pas avant d’avoir bien su à qui vous ouvrirez votre coeur. Pour préserver par avance cet amour qui n’existe pas encore, apprenez à vous méfier de ce monde-ci. (Vicomtesse de Beauséant) » (p. 117)
« À Paris, le succès est tout, c’est la clef du pouvoir. Si les femmes vous trouvent de l’esprit, du talent, les hommes le croiront, si vous ne les détrompez pas. Vous pourrez alors tout vouloir, vous aurez le pied partout. Vous saurez alors ce qu’est le monde, une réunion de dupes et de fripons. (Vicomtesse de Beauséant) » (p. 118-119)
« Il lui arriva ce qui arrive à tous les hommes qui n’ont qu’une capacité relative. Sa médiocrité le sauva. » (p. 126)
« S’il est un sentiment inné dans le cœur de l’homme, n’est-ce pas l’orgueil de la protection exercée à tout moment en faveur d’un être faible ? Joignez-y l’amour, cette reconnaissance vive de toutes les âmes franches pour le principe de leurs plaisirs, et vous comprendrez une foule de bizarreries morales. » (p. 126-127)
« Si j’ai encore un conseil à vous donner, mon ange, c’est de ne pas plus tenir à vos opinions qu’à vos paroles. Quand on vous les demandera, vendez-les. Un homme qui se vante de ne jamais changer d’opinion est un homme qui se charge d’aller toujours en ligne droite, un niais qui croit à l’infaillibilité. Il n’y a pas de principes, il n’y a que des événements ; il n’y a pas de lois, il n’y a que des circonstances : l’homme supérieur épouse les événements et les circonstances pour les conduire. S’il y avait des principes et des lois fixes, les peuples n’en changeraient pas comme nous changeons de chemise. L’homme n’est pas tenu d’être plus sage que toute une nation. L’homme qui a rendu le moins de services à la France est un fétiche vénéré pour avoir toujours vu en rouge, il est tout au plus bon à mettre au Conservatoire, parmi les machines, en l’étiquetant La Fayette ; tandis que le prince auquel chacun lance sa pierre, et qui méprise assez l’humanité pour lui cracher au visage autant de serments qu’elle en demande, a empêché le partage de la France au congrès de Vienne : on lui doit des couronnes, on lui jette de la boue. (Vautrin) » (p. 149)
« La jeunesse n’ose pas se regarder au miroir de la conscience quand elle verse du côté de l’injustice, tandis que l’âge mûr s’y est vu : là gît toute la différence entre ces deux phases de la vie. » (p. 153)
« Pour un observateur, et Rastignac l’était devenu promptement, cette phrase, le geste, le regard, l’inflexion de voix, étaient l’histoire du caractère et des habitudes de la caste. Il aperçut la main de fer sous le gant de velours ; la personnalité, l’égoïsme, sous les manières ; le bois, sous le vernis. » (p. 155)
« À défaut d’un amour pur et sacré, qui remplit la vie, cette soif du pouvoir peut devenir une belle chose ; il suffit de dépouiller tout intérêt personnel et de se proposer la grandeur d’un pays pour objet. » (p. 252)
Votre commentaire