Hésiode
Edition de référence : Folio Classique, 2001
Préface (Jean-Louis Backès)
« […] c’est en écoutant, en lisant, en apprenant, en récitant les poèmes d’Homère et d’Hésiode que les petits enfants de Grèce apprennent à connaitre leurs dieux. » (p.9)
Poètes, non prêtres
« La créance commune de Ia Grèce n’est pas tout à fait fixée. Voilà peut-être la plus grande difficulté que nous rencontrons, nous autres modernes, quand nous essayons de nous représenter la vie religieuse, et la poésie religieuse, d’autrefois. Vingt siècles de christianisme nous ont habitués, en Europe, à considérer qu’une religion doit avoir un dogme. Les Grecs ont connu les procès pour impiété. Des châtiments redoutables se sont abattus sur des hommes dont on estimait qu’ils n’avaient pas respecté les dieux. On songe à Socrate qui « ne reconnaît pas les dieux que reconnaît la cité ». Cette traduction est peut-être trop moderne. Il prend envie de jouer sur l’étymologie du verbe « nomizein » et de dire que Socrate « ne fait pas leur part aux dieux à qui la cité fait leur part ». L’aspect intellectuel de ce comportement n ‘est pas l’élément essentiel. Il faut d’abord ne pas oublier la mention de la cité. C’est par elle que, dans sa vie quotidienne, I’individu entre en relation avec les dieux. L’institution prime, avec ses rituels. Ce qu’on peut dire sur les dieux semble avoir toujours eu moins d’importance. Bien avant que n’apparaissent chez Pindare ou Xénophane, par exemple, des remarques sévères sur I’immoralité ou l’absurdité de certains récits traditionnels, la multiplicité foisonnante, éventuellement incohérente, de ces récits prenait presque – étrange paradoxe – l’allure d ’une norme. On ne damnera personne pour avoir prétendu qu’Aphrodite était fille de Zeus, comme le dit Homère, ou qu’elle est née de l’écume, comme le raconte Hésiode. Les poètes se contredisent, sans la moindre gêne, semble-t-il. Il n’y a pas de vérité révélée. Il n’y a pas de vérité imposée. L’aède apporte des variantes inattendues. Et le public se réjouit. » (p.12-13)
Savoirs d’aèdes
« Nous aurions tort pourtant d’imaginer que l’aède invente ce qui lui plaît. Il est homme de tradition. Il est gardien de traditions. Il possède un immense savoir. Il ne se préoccupe pas d’abord de maîtriser un système théologique. Ce qu’il lui faut connaître, ce sont les listes. Son savoir s’organise facilement en collections. Hésiode fait penser à Georges Perec. Il sait les noms de toutes les Néréides. Homère aussi. Les deux listes ne coïncident pas tout à fait, mais qu’importe ? Il existe une liste – ou plusieurs – des filles d’Océan, une liste – ou plusieurs – des femmes aimées par Zeus, une liste – ou plusieurs – des lieux où Apollon aurait pu naître. Comme tant d’autres textes de ce temps-là, la Théogonie est un immense catalogue. » (p.13)
« L’ordre est fragile. L’ordre n ’est jamais acquis. C’est parce que la naissance du monde n’a pas été une création. Le récit biblique nous a habitués à sous-estimer l’importance de ce geste qu’y accomplit le Créateur : il met en ordre le « tohu-bohu ». La Pensée d’Hésiode ne connaît pas de créateur. C’est petit à petit que pour lui s’établit, à partir de la confusion initiale qui est à la fois, au-delà de toute représentation mentale possible, l’absolue unité et l’absolue multiplicité, quelque chose qui ressemble à une harmonie, à cet accord de la cithare dont on sait avec quelle rapidité il se défait. La Théogonie, avant de se perdre dans les sables, dit le progrès de cet ordre : Kronos plus net que Ciel son père, Zeus plus lumineux que Kronos. Pas gagnés sur la sauvagerie. Mais les Titans menacent. L’ordre suppose que les êtres soient distincts les uns des autres, et qu’ils aient procédé à un partage. » (p.20)
« Tous les êtres ont reçu leur part. Pour les mortels, pour les hommes qui meurent, cette part est d’abord une part de vie, un nombre de jours lumineux avant le saut dans l’obscur. Le résultat est sensible. Mais la procédure qui l’a rendu possible, si elle existe, reste le plus souvent inaccessible à la pensée. » (p.22)
Les travaux et les jours
« Ce que tu promets à un ami
pour un travail, donne le.
Fais des sourires à ton frères,
mais assure toi un témoin.
Confiance et défiance font du mal
autant l’une que l’autre.
Ne te laisse pas tromper
par les jolies fesses d’une femme.
Elle te fait des mamours ;
elle en veut à ton bien.
Celui qui croit une femme
sera dupé par tous les menteurs. » (p.117-118)
« Prends garde à la colère des dieux
qui ne meurent pas.
Ne fais pas d’un compagnon
le semblable d’un frère.
Ou bien évite absolument
de l’offenser le premier.
Ne mens pas pour le plaisir.
Si c’est lui qui commence,
si c’est lui qui dit ou fait
quelque chose d’écœurant,
pense à le lui faire payer
au double. S’il revient
chercher ton amitié,
s’il veut t’offrir réparation,
accepte. Homme de rien,
celui qui a tantôt un ami
tantôt un autre. Ne permets pas
que ton visage calomnie ton cœur ;
[…]
Le trésor le plus précieux parmi
les hommes, c’est une langue
qui se ménage, ou qui s’agite
sans excès. C’est un bonheur.
Si tu dis un mot méchant,
bientôt tu en entendras un pire. » (p.137-138)
« Voilà ce qu’il faut faire. Evite
qu’on parle mal de toi.
Le mal qu’on dit de toi
est chose légère à soulever,
très légère, lourde à porter,
difficile à déposer.
Une rumeur jamais ne se dissipe,
lorsque beaucoup de bouches
l’ont colportée. C’est elle aussi
quelque chose comme un dieu. » (p.140-141)
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